Lien pour l’article original : « Bloc-notes », Le Carnet PSY, 2017/9 (N° 212), p. 13-20. DOI : 10.3917/lcp.212.0013. URL : https://www.cairn.info/revue-le-carnet-psy-2017-9-page-13.htm

 

Serge Tisseron et Frédéric Tordo, deux auteurs connus et reconnus dans le domaine des médiations numériques, ont réussi un exploit rare dans le milieu de la psychanalyse en réunissant dans leur nouveau livre, L’enfant, les robots et les écrans. Nouvelles médiations thérapeutiques, les écrits de cliniciens sensibles à la présence des appareils numériques en psychothérapie individuelle ou groupale. Leur travail est d’autant plus appréciable que les avancées théoriques tout à fait originales, tant sur les écrans numériques que sur les robots, sont parsemées de conseils pragmatiques quant à l’utilisation de ces nouveaux types de médiation ou encore enrichies de situations cliniques complexes, et parfois tout à fait novatrices, comme celle mise en place par une équipe soignante de Nantes.

Si ensuite, nous ajoutons à l’étendue du traitement de la problématique, l’utilisation par les auteurs d’un langage à la fois rigoureux et abordable, nous avons devant nous une lecture passionnante tant pour les professionnels de la santé que pour tous ceux qui, plus simplement, s’interrogent sur l’impact du monde virtuel sur notre vie quotidienne.

Ainsi, les premières pages de l’ouvrage présentent des réflexions sur l’utilisation des écrans numériques dans les soins psychiques. La piste de compréhension de cette démarche est dictée d’emblée par S. Tisseron qui nous invite à redonner « d’abord aux objets leur place dans nos vies » avant de les considérer comme les outils de médiation. De ce fait, la particularité des écrans numériques, comme leurs fonctions de contenance et de transformation, ou encore la possibilité de l’immersion virtuelle qu’ils offrent, font d’eux d’excellents accélérateurs de processus psychothérapeutiques qui visent l’émergence du sentiment de la subjectivité du patient.

En sachant que ce but thérapeutique de l’éclosion du sentiment de soi constitue une partie intégrante du traitement des troubles identitaires-narcissiques, F. Tordo nous propose l’adaptation de la prise en charge de cette psychopathologie à l’ère du numérique. Dans ces occurrences, le travail analytique viserait l’émergence de « la figuration numérique d’un double interne manquant, bientôt introjecté dans le Moi ».

Ces observations cliniques se complètent de manière intéressante par les propos d’Olivier Duris qui se penche sur l’introduction des jeux vidéo dans le traitement des psychoses infantiles en situation groupale à l’Hôpital de Jour. Le recours à l’avatar numérique permettrait, selon l’auteur, de déplacer l’interprétation destinée au patient vers son double virtuel, en lui évitant le sentiment d’intrusion propre aux pathologies psychotiques.

A son tour, Benoît Virole attire notre attention sur l’importance de l’adaptation du support même des jeux vidéo au type de psychopathologie. Sa longue expérience clinique auprès des enfants autistes lui permet d’affirmer, contrairement aux idées reçues, que les tablettes tactiles seraient particulièrement appropriées au traitement des troubles du spectre autistique, sans engendrer ou approfondir le sentiment d’isolation tant redouté. D’ailleurs, la démarche de confrontation des constats objectifs sur le monde numérique à l’imaginaire humain semble se faufiler tout au long du livre. C’est probablement dans cette dynamique que S. Tisseron inaugure la seconde partie de l’ouvrage consacrée aux robots, en tentant de définir cette machine aux capacités encore bien imitées. La nécessité de saisir sa nature semble s’expliquer par une double conjoncture, car s’il est primordial de connaître ses potentialités d’utilisations dans les soins, il est également important de saisir les risques auxquels nous sommes confrontés lors de leur emploi.

Et c’est précisément la compréhension à la fois la plus globale et la plus pointue qui permettrait, selon F. Tordo, de faire du robot un « véritable accompagnateur thérapeutique ». Ainsi, l’auteur prend soin de détailler dix grandes fonctions thérapeutiques de cet objet de médiation dans la prise en charge des enfants autistes, en illustrant ses propos psychodynamiques par des vignettes cliniques particulièrement éclairantes.

Cette approche thérapeutique trouve également un écho chez une équipe soignante de l’Hôpital de Jour à Nantes, qui a mis en place une expérience tout à fait novatrice dans laquelle un groupe d’adolescents autistes participe à la programmation des robots. Le déroulement et l’aboutissement de cette aventure thérapeutico-robotique seraient, pourrait-on dire, à l’image des réflexions métapsychologiques et cliniques décrites dans ce livre. Car malgré les quelques difficultés pratiques évoquées avec honnêteté par les auteurs, les premiers résultats obtenus sont très intéressants et plutôt encourageants pour les autres cliniciens !

 

Aleksandra Pitteri – Psychologue Clinicienne